updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Etats-Unis: la guerre anti-femmes a lieu

Des paroles aux actes, les Républicains ne cessent de remettre en cause l’accès à la contraception et à l’avortement, et de piocher dans les fonds d’aide aux femmes.

 

Dans la guerre contre les femmes, les Républicains majoritaires à la Chambre des représentants avancent leurs pions depuis novembre 2010. De nombreux Etats ont passé des lois remettant en cause le droit à l’avortement. Mais le point culminant de la bataille a été verbal. En traitant de «salope» et de «prostituée» Sandra Fluke,  une étudiante témoignant de l’importance de l’accès gratuit à la contraception, le commentateur ultra-conservateur Rush Limbaugh, écouté par près de 20 millions d’auditeurs, est allé trop loin. C’est toute une nation qui s’est sentie insultée.

En février, Sandra Fluke était appelée par les Démocrates à témoigner devant la Chambre des représentants. Cette dernière devait se prononcer sur la réforme de santé d’Obama, qui prévoit le remboursement des pilules contraceptives ou abortives par tous les assureurs, mêmes ceux adossés à des hôpitaux ou des universités religieuses. Mais le député républicain Darrell Issa, qui présidait la commission, l’a déclaré «non compétente», et a invité cinq hommes à témoigner. Pas une seule femme n’a été entendue dans ce débat qui les concerne au premier chef. Elle n’a pas pu raconter son histoire poignante.

L’une de ses camarades de classe était sujette à une maladie provoquant des kystes ovariens. Son médecin lui avait prescrit la pilule pour éviter leur formation. Mais son assurance ne la prenait pas en charge. Après quelques mois, elle n’a plus pu s’offrir le luxe de payer pour la pilule de sa poche. Elle a perdu son ovaire et est devenue stérile.

Mais pour Darrell Issa et les autres Républicains de la puissante commission, ce genre  d’«histoires personnelles» n’ont rien à voir avec les raisons d’Etat qui motivent le débat. Des histoires personnelles de «salopes», donc, comme l’a estimé Limbaugh. Et d’insister le lendemain «Si c’est nous, contribuables, qui payons pour ses contraceptifs, et donc pour qu’elle fasse l’amour, alors nous réclamons quelque chose en échange : qu’elle mette ses vidéos en ligne et que l’on puisse tout voir». Ces phrases insultantes n’ont été condamnées par aucun des candidats républicains alors en lice. Elles ont au moins eu un mérite : créer un véritable électrochoc dans la société américaine. Au lendemain de ces attaques, l’expression «guerre anti-femmes» était consacrée. Des milliers de femmes se sont alors intéressées aux nombreuses lois remettant en cause leurs droits.

C’est la crise, les femmes paient

La dernière attaque en date a concerné le Violence Against Women Act. Ce fonds créé en 1994 permet notamment aux femmes battues ou agressées sexuellement de bénéficier de conseils juridiques. Il a depuis sa création bénéficié d’un soutien bipartisan. Tous les cinq ans, il a été renouvelé sans aucune difficulté. Mais cette année, sur les 99 votants, 31 sénateurs républicains ont voté contre. L’aide aux femmes a été amputée de 20%, la ramenant à 659 millions de dollars.

En temps de crise, c’est dans les fonds d’aide aux femmes que les Républicains ont décidé de rogner. Ainsi en avril, ils ont une nouvelle fois proposé de déshabiller Pierre pour habiller Paul, ou plus précisément : déshabiller les femmes pauvres pour habiller les classes moyennes. Ainsi, les députés américains cherchent depuis plusieurs mois dans quel fonds piocher pour maintenir les taux des prêts étudiants à 3,4%. Si les Démocrates proposent de rogner dans les subventions aux industries pétrolières et gazières, les Républicains voudraient prélever cet argent dans le fond de prévention contre les maladies chroniques, qui lutte essentiellement contre les cancers du sein et du col de l’utérus.

Le même mois, le Wisconsin est allé jusqu’à abroger le Equal Pay Enforcement Act, qui dissuadait les employeurs de pratiquer des inégalités salariales, dans un Etat où les femmes gagnent en moyenne 75 centimes lorsque les hommes gagnent un dollar.

Le droit à l’avortement constamment remis en cause

En 2011, 1'100 projets de lois remettant en cause le droit à l’avortement ont été proposés. En Louisiane, les législateurs ont ainsi tenté d’introduire le crime de «féticide» pour les femmes et les médecins qui pratiquent des avortements, sans exception en cas de danger pour la mère, inceste ou viol. Sur ces 1'100 projets de loi, 185 sont passés.

En 2012, c’est reparti de plus belle. Ainsi, depuis février, les Texanes doivent écouter les battements de cœur du fœtus vingt-quatre heures avant d’avorter. Elles doivent également écouter la description du fœtus par un médecin. Depuis mai, les habitantes de l’Utah doivent attendre soixante-douze heures entre le premier rendez-vous à la clinique et l’avortement, ce qui en fait le plus long délai du pays. Et ce n’est que grâce à d’intenses manifestations comparant ce projet a un «viol d’Etat» que le gouverneur de Virginie a dû renoncer à une loi rendant obligatoire une «échographie transvaginale» avant l’avortement, procédure extrêmement invasive et souvent douloureuse d’insertion d’une sonde dans le vagin jusqu’à l’utérus.

Depuis mai 2011, neuf Etats (Floride, Indiana, Kansas, New Hampshire, New Jersey, Caroline du Nord, Tennessee, Texas, Wisconsin) ont coupé les fonds fédéraux à destination de Planned Parenthood (le planning familial), au prétexte que les contribuables ne veulent pas financer un organisme qui pratique l’avortement. L’ironie, c’est que l’aide fédérale à l’avortement est déjà interdite dans tous les Etats américains. Les 60 millions de dollars dont doit se passer Planned Parenthood dans ces neuf Etats étaient essentiellement destinés au dépistage des maladies sexuellement transmissibles et des cancers, ainsi qu’à l’accès à la contraception.

Des conséquences dans les urnes ?

«Bill Clinton a raflé 54% de voix chez les femmes : sans le vote des femmes, il n’aurait pas été élu en 1996», rappelle Karen O’Connor, professeur de sciences politiques à l’American University de Washington et créatrice du Women&Politics Institute. La disparité hommes-femmes a été encore plus criante lors de l’élection de Barack Obama en 2008 : 56% des femmes avaient voté pour lui.

De nombreuses femmes sont en colère contre ces attaques incessantes, une colère que les Démocrates vont tâcher de transformer en vote pour Barack Obama. Et pour celles qui ne peuvent concevoir de voter Démocrate, comme les femmes de confession évangéliste, Karen O’Connor met en garde : «Il y a des chances qu’elles restent chez elles le jour du vote et ne donnent pas leur voix aux Républicains.»