updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

La vie de palace

Le mouvement social qui a enflammé les palaces parisiens a commencé après la dernière fashion week : après le Hyatt Vendôme, puis le Hyatt Paris Madeleine, ce fut au tour des femmes de chambres du Royal Monceau Raffles de se mettre en grève. Parmi elles,
 Chafikha Gherabba s’est révélée redoutable négociatrice et syndicaliste déterminée.

D’ordinaire, dans l’ambiance feutrée des palaces, les mots se chuchotent, les gestes se mesurent, tout en discrétion et en retenue. Cet automne, devant le Royal Monceau, des drapeaux de la CGT étaient plantés dans les pots de fleurs, et les grévistes criaient leurs revendications dans des mégaphones. Un contraste frappant, un fossé séparant deux mondes surtout, celui des riches propriétaires du fonds qatari Katara Hospitality, qui détient aussi le Peninsula, le Buddha Hôtel à Paris et le Carlton à Cannes face à celui des employé-e-s du palace payé-e-s entre 1200 et 1300 euros nets par mois, sachant que des chambres au Royal Monceau peuvent coûter 25000 euros la nuit…

C’est précisément lors de la négociation annuelle des salaires que le ras-le-bol s’est exprimé. A l’augmentation de 3% réclamée par les syndicats, la direction a répondu 1,8%. Pour Chafikha, c’est à ce moment que l’idée de la grève illimitée s’est imposée. Cette jeune femme, employée dans le palace depuis quatre ans, l’a constaté : «Au bout de deux ans, les conditions de travail se sont dégradées». Tout le monde travaille sous pression, en sous-effectif permanent. Avec d’autres, elle décide de se syndiquer «pour changer les choses». Elle explique que «dans ma famille, la solidarité, on connaît. Mon père aimait aussi défendre les gens. Il m’a transmis ses valeurs. J’ai donc trouvé, avec la CGT, le moyen de les mettre en pratique». Son premier combat politique, elle le remporte au printemps : son syndicat s’impose aux élections, «ce qui n’était pas gagné d’avance», concède-t-elle. Elle participe ensuite à l’élaboration d’une plate-forme de revendications, portant sur les salaires et les conditions de travail, dont notamment une augmentation du salaire horaire de deux euros pour les 300 employé-e-s et ouvrièr-e-s de l’hôtel.

A cœur du conflit, «nous avons aussi mobilisé et syndiqué des salariés pour arriver à 36 jours de grève» dit-elle plutôt fière. Si la lutte était très dure, elle note le rôle déterminant des femmes dans ce combat. «Il y a eu beaucoup de solidarité certes, mais c’était très dur de tenir, surtout pour les femmes monoparentales. Pour autant, les femmes, quand elles s’engagent, ont des capacités de lutte et de résistance sous-estimées. Elles connaissent souvent plus la dureté de la vie que les hommes. Dans cette lutte, elles ont montré leur courage, leur détermination et ont joué un rôle essentiel dans la victoire qui a été obtenue le 14 octobre 2014». Et au final, c’était payant puisqu’au terme de la grève, Chafikha jubile : «+ 96 euros sur la fiche de paye et le respect».

Féministe, Chafikha l’est assurément et vit son engagement au quotidien. Pour elle, «il faut se battre pour que les femmes ne soient plus prisonnières de l’esclavage à la maison pour les unes et au travail pour les autres, parfois les deux ensemble !». Et c’est pas fini ! Elle poursuit le combat : «Je dois maintenant défendre une collègue menacée de licenciement. Pour moi, déléguée syndicale, ce n’est pas du blablabla, c’est du concret au quotidien. Quand on sent la force en soi, il faut l’utiliser et la transmettre».


Photo © Yvon Huet