updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

A la racine des extensions


Après les fringues à bas prix qui s’entassent dans nos armoires, confectionnées par des armées de travailleuses exploitées et sous-payées, voici les extensions de cheveux, prisées par des stars comme Céline Dion ou Beyoncé, en passe de devenir la nouvelle tendance de masse. Pour répondre à cette demande, la production de cheveux naturels suit un circuit où s’enchevêtrent mafias, entreprises sans éthique et camps de travail forcé. Les femmes en Asie du Sud-Est ou en Europe de l’Est qui vendent leurs cheveux le font, elles, pour survivre.

Chaque année, les collecteurs de l’entreprise leader du secteur, Rebecca Hair Product, étendent un peu plus leur champ d’exploration : du Vietnam, ils passent aux pays d’Afrique et d’Amérique latine avec la conviction que là où règne la pauvreté et où l’économie vacille, les femmes vont vendre leurs cheveux avant de vendre leur corps. Les quelque 2000 tonnes qu’ils achètent tous les ans ne suffisent jamais à combler les attentes des femmes occidentales qui suivent la mode, d’où la nécessité de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou à l’aide de flyers collés un peu partout sur les murs, au Brésil ou en Ukraine, les femmes qui peinent à joindre les deux bouts les repèrent et finissent par appeler le collecteur pour sacrifier quarante voire cinquante centimètres de leur chevelure. En Ukraine ou en Moldavie, pour trente centimètres, elles pourront tirer environ l’équivalent de quarante francs suisses. Un prélèvement de cinquante centimètres peut leur rapporter jusqu’à 150 francs. Sachant que le salaire moyen des femmes dans ces régions d’Europe de l’Est ne dépasse pas les deux cents francs, vendre ses mèches apparaît comme un moindre mal, une solution somme toute acceptable.  D’autant que les cheveux blonds sont très recherchés, c’est pourquoi les entreprises locales comme Raw Virgin Hair basée à Kiev veillent particulièrement sur leur fond de commerce, au besoin en usant de la méthode forte. Leurs collecteurs, cibles des mafias au point que certains y perdent la vie, doivent être désormais protégés. Ce business lucratif et florissant attire en effet bien des convoitises puisque chaque mèche est revendue dix à vingt fois plus cher que le prix d’achat. Avec la guerre, les Ukrainiennes sont les premières impactées par les difficultés économiques. De la vente de leurs précieuses mèches, elles n’en retirent toutefois que de maigres bénéfices. Souvent arnaquées par des collecteurs peu scrupuleux qui n’hésitent pas à baisser le prix d’achat au maximum au motif que leurs cheveux seraient de piètre qualité voire à refuser de les payer après les leur avoir coupés.

En Chine, l’histoire est tout autre. Le pays qui a doublé l’Inde, jusque-là premier producteur mondial, effectuerait la collecte auprès des camps de rééducation. Une accusation que rejettent les entreprises de Xuchang, la capitale mondiale du cheveu. En 2004 pourtant, le rapport d’une ONG dénonçait les pratiques d’un camp situé à Xuchang et dont les détenues, pour la plupart membres du mouvement Falungong, auraient été rasées de manière régulière pour approvisionner les entreprises du coin.

En Inde, les femmes, elles, sont volontaires pour offrir leurs cheveux comme offrande aux divinités… que les prêtres se chargent de revendre. Ce qu’on appelle les temple hair ont connu un véritable engouement avant l’arrivée des sociétés chinoises sur le marché, beaucoup mieux organisées et plus efficaces que l’artisanat des hindous. Mais dans un cas comme dans l’autre, les femmes déjà pauvres sont les grandes perdantes d’un marché de dupes. L’exploitation de leur corps n’a aucune limite. Certaines sont même agressées pour leur chevelure, des gangs s’en prenant aux tresses des jeunes femmes.

La mode a un coût social genré et comme souvent ce sont les femmes les plus pauvres qui en paient le prix fort.

Photo, publicité d'extensions sur le site d'une entreprise chinoise.