updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

La socialisation des garçons en cause

 

 Deux procès pour viol et assassinat et une même demande de la part des familles de victimes: la prise de conscience que la socialisation de genre est à l'origine de la violence des hommes envers les femmes. Les proches de ces femmes mortes sous les coups d'hommes "normaux" veulent briser la domination du silence et dénoncent la complicité de la société toute entière.

«Ce sont les hommes qui violent et qui tuent en majorité, alors qu’il y a autant de femmes qui ont été maltraitées enfants». Ce sont ces mots que la mère de Gala Mulard, enlevée, séquestrée, violée puis assassinée à l’âge de 19 ans a opposés à la défense du meurtrier, Alain Delannoy, un père de famille dont l’enfance a été marquée par l’alcoolisme et la violence de ses parents. Dans le texte que cette femme a lu devant les jurés de la cour d’assises de Haute-Loire (France), elle pointe du doigt l’éducation des garçons qui se fait «dans la virilité et la violence».

 

Pratiquement le même jour, en Australie, Tom Meagher publie sur le site de la White Ribbon Campaign un long plaidoyer sur la violence des hommes envers les femmes. Son épouse Jill a été violée et tuée par Adrian Bayley alors qu’elle rentrait d’une soirée entre collègues.  Au fil des audiences, il se dit perturbé par un fait auquel il ne s’attend pas : il découvre que le meurtrier n’est pas un monstre mais un homme « normal ». Ce pourrait être un collègue, un ami, quelqu’un de la famille... A l’instar de l’avocat de l’assassin de Gala Mulard, Marcel Schott, qui a déclaré que son client était « tout sauf un monstre », Tom Meagher déconstruit le mythe du monstre. Mais pour arriver à quelles conclusions ?

 

Pour Tom Meagher, le terme même de violences faites aux femmes renvoie à un concept abstrait qui s’inscrit dans l’ordre des choses, dans la nature. Personne ne dit « les violences des hommes faites aux femmes » alors même que c’est une réalité. Dans la même logique, selon lui, on utilise la forme passive en conjugaison « a été battue/violée/assassinée » pour éviter de désigner l’auteur des faits : un homme. Au-delà des discours, il note que les circonstances atténuantes invoquées par la défense du criminel sont systématiquement l’alcool, la drogue, les violences subies dans l’enfance, les problèmes économiques et jamais la socialisation de genre. Les familles de victimes commencent pourtant à dire que quelque chose cloche dans tout ça.

 

Et si tout était à revoir à commencer par l’éducation (école et famille) ? Dans nos sociétés, les enfants apprennent très tôt ce que signifie être un garçon ou une fille par le clivage des activités, les encouragements différenciés, les comportements observés. La socialisation de genre amène ainsi les garçons à se conformer à des normes dites masculines et à développer des qualités en conformité avec leur genre. Ils seraient ainsi gratifiés s’ils adoptent certaines valeurs (compétition, leadership, etc) et punis s’ils adhèrent à d’autres(soin de soi, intimité, etc). Selon les travaux des sociologues, la socialisation de genre qui prescrit aux hommes des rôles sociaux de sexe axés sur leur domination, permet d’expliquer plusieurs comportements masculins liés au rôle d’oppresseur. Tandis que le sexe social prescrit aux femmes le rôle de victime.

 

La violence faite aux femmes a donc pour origine la socialisation des garçons qui les pousse à être agressifs, les valeurs sociales sexistes et patriarcales qui encouragent la domination des hommes sur les femmes et le maintien de ces valeurs dans les institutions sociales comme la famille, l’école et les médias. Pour déconstruire la violence masculine, une prise de conscience générale est nécessaire. Faut-il attendre d’être concerné-e-s pour s’interroger et réagir ? Les seul-e-s féministes auront beau s’époumoner, rien n’évoluera si la société continue à penser que c’est bien triste mais c’est comme ça.

 

A la lumière de son drame personnel, Tom Meagher pense que la responsabilité des hommes violents allié au silence des hommes non-violents ne doit pas être une fatalité. Néanmoins, lorsque sur les pages de soutien à sa femme qui se sont multipliées sur Facebook, il a lu que les gens souhaitaient que le meurtrier soit violé en prison, il a pris conscience du chemin qui resteait à parcourir. Le viol comme punition et instrument de domination ne fait que renforcer les rapports de force et ne résout en rien le problème selon lui. C’est au contraire valider le système de pensée du meurtrier de sa femme. Socialiser garçons et filles dans une perspective d’équité est un vaste chantier qui n’en est hélas qu’à ses débuts.