updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Sauvons les potiches italiennes!

Depuis 30 ans, les ''veline'', potiches cathodiques en petite tenue, subissent agressions verbales et humiliations. En 2008,  une jeune businesswoman, Lorella Zanardo, part seule en guerre contre ce phénomène. Son webdoc, Le Corps des Femmes, connaît immédiatement un immense succès populaire. Rencontre avec une réalisatrice engagée.

 

Quel a été le déclic pour commencer la réalisation de ce webdoc ?

L'idée de ce documentaire m'est venue en décembre 2008.  Je venais de rentrer en Italie après plusieurs années à l'étranger lorsque je suis passée par hasard devant une télévision allumée. J'y ai vu une femme d'une vingtaine d'années, à quatre pattes, enfermée dans une boîte en plexiglas servant de table aux invités.  C'est à ce moment que je me suis dit qu'il fallait agir.

J'ai contacté deux amis qui travaillent dans l'audiovisuel et nous avons décidé de consacrer nos vacances de Noël à regarder la télévision pendant 10 à 12 heures par jour. Nous avons ainsi enregistré 400 heures de divertissements populaires pour en extraire des images de la femme telle qu’elle apparaît sur les chaînes italiennes, qu'il s'agisse de la RAI ou de Mediaset.

A partir de ce matériel (auquel se sont ajoutées quelques archives de la télévision italienne), j'ai écrit un texte, né dans la douleur plus que dans l'indignation. Ces heures et ces heures de visionnage, la violence des images, tous ces corps de jeunes femmes refaits, aux poitrines démesurées, et ces visages de présentatrices plus âgées, boursouflés par la chirurgie esthétique… Je ne peux pas dire qu’elles ne m’aient pas affectées. A travers cette jeune veline en string, pendue à un crochet dans une cave d'affinage de jambons, c'est moi que je voyais, c'est moi qu'on attaquait.

 

Pourquoi, pendant 30 ans, aucune association féministe ne s'est manifestée contre la représentation déplorable de la femme à la télévision ?

Parce que cela ne les intéresse pas ! Depuis les années 70, les féministes italiennes appartiennent à ce que l'on désignerait en France comme «la gauche caviar», constituée d'intellectuels et donc, très éloignée des préoccupations populaires. Les féministes italiennes ne se préoccupent pas de télévision, elles ne la regardent pas. Selon moi, l'opposition politique et les intellectuels ont eu le tort de sous-estimer le pouvoir du petit écran.

Et puis, je crois que les gens s'étaient habitués à la présence de ces «veline». Quand un public voit des images de femmes objets depuis plus de 30 ans, il finit soit par y devenir insensible, soit par se ranger derrière un certain fatalisme. Combien de fois ai-je entendu : «Oui, la télévision italienne est ainsi. Et alors ? Cela a toujours était le cas !».

En fait, l'Italie est restée un pays profondément misogyne. Selon moi, Berlusconi et sa télévision n'ont fait qu'accentuer un phénomène, déjà bien ancré dans la société italienne. Les politiciens, même de gauche, sont très machistes. Et, il faut bien le dire, la religion catholique (majoritaire dans le pays) n'est pas une religion qui aide à l'émancipation des femmes.

 

Qu'est-ce qui a changé dans la société italienne depuis la diffusion de votre documentaire, déjà visionné par plus de 5,5 millions d'internautes ?

En Italie, nous ne parlions plus de féminisme depuis des années. Ce travail a eu le mérite de rendre conscientes les jeunes que tout n'était pas encore gagné dans ce domaine. Et elles ont commencé à se mobiliser. Le 13 février 2011, dans plusieurs villes du pays, du Nord au Sud, un million d'Italiennes sont ainsi descendues dans la rue, pour protester contre l'image de la femme à la télévision. Parmi elles, se trouvaient des jeunes filles, des mères, des grands-mères. Pour beaucoup, c'était leur première manifestation. 

Des jeunes femmes ont aussi envoyé des milliers et des milliers de mails aux entreprises dont les publicités étaient jugées sexistes [1].  Et elles ont obtenu gain de cause puisqu'une large part de ces publicités ont été, depuis, retirées de l'antenne.

Enfin, cette année, pour la première fois dans l'histoire de la télévision italienne, celles que l'on appelle les «vallette» (assistantes télé, comparables aux veline) étaient absentes de la retransmission très suivie du Festival de musique de San Remo. En 2012, l'émission avait choqué. Dans un show qui semblait dater des années 50, une jeune valletta rousse d'à peine 19 ans, faisait office de pot de fleurs, entre deux présentateurs vedettes assez âgés. De la pauvre petite, qui ne maîtrisait apparemment pas la langue, la caméra retiendra surtout sa forte poitrine, sur laquelle elle s'est attardée très longuement. Pour certaines jeunes téléspectatrices, c'en était trop. Spontanément, elles ont demandé à rencontrer la RAI qui a finalement accepté de retirer ces potiches de l’édition 2013.  

Aujourd'hui encore, pourtant, les veline restent présentes sur nos écrans. Alors, j'ai créé un mouvement Nuovi occhi per i media  («De nouveaux yeux pour les médias») qui apprend aux jeunes, dans les lycées, à décoder les images télévisuelles. Parce que, c'est en se dédiant aujourd'hui à ceux qui ont 15-20 ans, qu'on peut espérer, demain, le changement.

 



[1] voir le montage en ligne du collectif Le Vocianti (« les Criantes ») à cette adresse :  http://www.youtube.com/watchv=NexOTy8VYNw