Bonnes soeurs féministes radicales
- Écrit par Nathalie Brochard
La semaine dernière, le pape François a reçu des religieuses du monde entier, tandis que son prédécesseur n’avait pas jugé opportun de le faire. Cette rencontre, qui aurait pu être interprétée comme une démarche reconnaissante à l’égard des ordres féminins, avait en réalité un but bien précis : la mise au pas des nonnes américaines de la LCWR dont la contestation jugée féministe radicale par le Vatican leur avait valu une enquête visant à évaluer si elles étaient bien sur le droit chemin, cela sous la houlette du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Mgr Müller. Des mesures répressives avaient été envisagées avec à la clef, la restructuration de leur organisation.
Créée en 1956, la Leadership Conference of Women Religious regroupe 57 000 religieuses américaines, soit 80% des effectifs féminins, autant dire une force que le Saint-Siège ne peut ignorer. Le problème est que ces femmes donnent leur avis sur tout un tas de sujets de société avec des prises de position assez libérales en matière de contraception, d’avortement, d’homosexualité, de divorce et d’ordination. Entre les livres qu’elles publient ou l’émission de radio Interfaith de Soeur Maureen Fiedler qui cartonne au Etats-Unis et au Canada, leur parole est largement diffusée. Qu’on se rassure, elles ne se pavanent pas torse nu à l’instar des Femen ni ne versent dans le terrorisme post-porno. D’ailleurs la présidente de la LCWR, Sœur Florence Deacon conteste l’étiquette féministe et l’a confié dans une interview au New York Times en octobre 2012: «J’ai été surprise qu’on nous dise féministes radicales. Je pourrais tout à fait leur présenter de vraies féministes radicales».
Leur remise en cause de la domination masculine au sein de la hiérarchie de l’Eglise s’est néanmoins heurtée à des siècles de conservatisme. Alors même que l’arrivée d’un nouveau pape réputé plus ouvert et disposé à réformer la Curie avait suscité beaucoup d’espoir, force est de constater que le changement n’est pas pour maintenant. Si le souverain pontife a salué le travail caritatif des Américaines, il leur a rappelé dans une rhétorique ambivalente et confuse à souhait dont l’Eglise a le secret qu’elles devaient être des «mères» à la «chasteté féconde» et non des «vieilles filles».
Dans ce conflit ouvert avec la hiéararchie catholique, les religieuses bénéficient du large soutien de la société civile qui apprécie leur engagement aux côtés des plus démuni-e-s. A trop se déconnecter de la vie de leurs ouailles et de leurs serviteurs, les chefs du Vatican risquent d’atteindre un point de rupture selon une analyse du théologien catholique contestataire suisse Hans Küng, qui estime que si rien ne se passe, «l’appel indignez-vous se fera entendre de plus en plus fort à l’intérieur de l’Eglise». Pour l’heure, le pape François a validé le rappel à l’ordre et la démarche répressive à l’encontre de la LCWR, voulus par Benoît XVI.
© Photo DR, Florence Deacon présidente de la LCWR