updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Jihad sexuel en Syrie

 

Elles seraient plus d’un millier à officier pour le repos du guerrier dans les camps d’Edleb en Syrie. Parmi ces jeunes filles majoritairement tunisiennes, on trouve des Européennes qui pratiquent le jihad du nikah ou prostitution au nom du jihad et qui s’engagent à leur manière dans le combat contre Bachar Al-Assad. Quelles sont leurs motivations, quel est leur parcours, comment les autorités religieuses musulmanes s’accommodent-elles de ces jihadistes d’un genre particulier ? Explications.


Tout a commencé avec le témoignage d’Aïcha, 20 ans, diffusé sur Tounesna TV en mai dernier. Pendant plus de quinze minutes, la jeune Tunisienne raconte comment elle en est venue à accepter un «mariage par heure ou par jour» comme est appelé pudiquement le rapport sexuel avec un milicien syrien. Aïcha a été recrutée à l’Université de Monastir où elle étudiait par une femme de 40 ans, étrangère à la faculté, mais qui y faisait du prosélytisme religieux. Elle parlait des préceptes de l'islam de façon générale jusqu'au jour où elle a proposé aux filles «le port du niqab et l'inscription gratuite à des cours religieux». Aïcha explique que les cours avaient lieu chez cette prédicatrice et que son groupe comptait environ une vingtaine de filles de 18 ans et une enfant de 10 ans. Une stratégie d’isolement était à l’œuvre visant à convaincre les élèves d’abandonner l’uni au profit de l’étude du Coran et de se consacrer entièrement à Allah. Au fil du temps, la «professeure» a commencé à leur parler de jihad avec à la clé, l’accès au paradis.  Et pour le gagner plus certainement,  Aïcha s’est vu proposer un «mariage» aux jihadistes combattants pour «les soulager et leur redonner des forces afin qu'ils puissent vaincre l'ennemi». Cette forme de jihad est appelé «jihad du nikah» (de mariage). L’idée lui plaît car la jeune fille est persuadée que cette pratique est conforme aux préceptes religieux. Sauf qu’Aïcha ne fera pas le voyage jusqu’en Syrie : sa mère qui a noté tous les changements que présentait sa fille a réussi à la convaincre de renoncer au projet à force de larmes et de discussions.


Ce premier témoignage a levé le voile sur d’autres cas de jeunes filles brutalement parties en Syrie, laissant leurs parents désemparés. Ces derniers racontent désormais leur histoire à la presse, comme ceux d’une adolescente belge de 16 ans. Ce phénomène d’abord révélé par les médias proches du régime de Bachar Al-Assad a été vu comme de la propagande et mis en doute, mais face aux réactions des parents et à leurs efforts pour retrouver leur fille, force est de constater que cette forme de prostitution existe bien. De tous temps, les armées ont entraîné dans leur sillage des filles de joie en cohortes plus ou moins organisées. Alors quoi de neuf ? Ces réseaux jihadistes en jupon posent surtout une question morale. Mais de ce point de vue, il semble que les autorités sunnites aient tranché.


Le cheikh salafiste Yasir al-Ajlawni avait déjà lancé une fatwa, postée sur youtube, qui "autorise" le viol des femmes non sunnites par les combattants musulmans engagés dans le jihad en Syrie. Le leader religieux légitime ce crime et le justifie au nom de l’islam pour les combattants qui luttent pour renverser Bachar al-Assad. Le cheikh Mohammed al-Arifi, un dignitaire religieux saoudien, prône l’adultère autorisé de dix minutes à 90 ans à travers une fatwa dont le but est «de permettre aux combattants d’exercer leur droit aux rapports sexuels, ce qui renforce leur courage et augmente leur capacité et leur moral dans le combat». Les autorités religieuses expliquent que face au manque de femmes dans les zones de combat, le jihab du nikah constitue une solution adaptée en accord avec l’islam.


Cette vision n’est pas partagée par les familles des jeunes filles tunisiennes rassemblées au sein de l'Association de secours aux Tunisiens à l'étranger. L’avocat Badis Koubadji, président de l’association, décrit les conditions de vie de ces jeunes femmes dans l’hebdomadaire Akher Khabar : «Dès qu’elles arrivent dans les camps des combattants islamistes, elles sont accueillies en grande pompe et une ‘‘zeffa’’ (cérémonie) est organisée à leur honneur. Ces jeunes femmes se mettent tout de suite au service des ‘‘thouars’’ (révolutionnaires) et sont prêtes à consommer. Six hommes se relaient souvent sur une seule femme tous les jours». L’avocat tente d’alerter l’Unicef et les organisations humanitaires sur les risques encourus par ces jeunes filles, qui n’ont pas de moyens de contraception. D’après lui et selon les familles, certaines auraient donné naissance à des enfants qui seront probablement abandonnés.

Les associations de féministes tunisiennes ont de leur côté également réagi. A l’occasion de la fête de la femme qui a lieu le 13 août, rassemblées dans le collectif élargi Hrayer Tounes, elles ont organisé une marche pour dénoncer de manière catégorique le mariage des mineurs, la polygamie, le «jihad du nikah» et les tentatives visant à diviser en deux clans les femmes tunisiennes, et ce en allusion à la marche à laquelle a appelé le parti Ennahdha pour célébrer la fête de la femme. Le 6 septembre, le collectif est allé exiger devant le ministère de la Femme et de la Famille la démission de la ministre Shimen Badi et ont proposé qu’elle soit elle-même envoyée en Syrie pour pratiquer le jihad du nikah.

Aïcha, elle, se sent aujourd’hui libérée et quand elle parle de religion, les mots «amour» et «paix» ponctuent son discours…