updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

MMF, le point avec Myriam Nobre

 

La Marche mondiale des femmes est un mouvement féministe international qui existe depuis 2000. Les actions qu'elle organise mobilisent des groupes de femmes à travers les cinq continents. Le 10 décembre prochain auront lieu les 24 heures de solidarité féministe, une série d'actions qui se dérouleront entre 12h et 13h suivant les fuseaux horaires.
En Suisse il existe une coordination nationale active depuis 2000. Le Secrétariat international se trouve, quant à lui,  à Sao Paulo. La coordinatrice, Myriam Nobre, a séjourné dernièrement à Genève pour participer au colloque "Sous le développement, le genre" et l'émiliE en a profité pour lui poser quelques questions.

l’émiliE : Quels sont les enjeux actuels de la Marche mondiale des femmes ?

Myriam Nobre: Nous sommes confrontées à la crise et dans ce contexte une offensive très dure est exercée sur la nature, sur le corps des femmes, sur le travail et sur la capacité de travail des gens. Le but de cette offensive est de créer de nouvelles conditions d’accumulation du capital et cela par l’intermédiaire de trois moyens : l’idéologie, les voies légales et la violence.

Qu’entendez-vous par idéologie ?

Pour ce qui est de l’idéologie, nous en avons parlé pendant le colloque[1]. Nous constatons, par exemple, des tentatives dans les milieux de la coopération internationale visant à contrôler des mouvements et des organisations, ainsi que l’apparition de processus qui aboutissent à créer des divisions et alimenter la compétition entre les mouvements pour obtenir un peu d’argent.  Nous observons aussi dans les medias l’évolution vers la concentration des moyens de communication dans les mains de quelques personnes, de propriétaires privés qui diffusent et imposent une idéologie comme si c’étaient des faits concrets, alors que peu d’informations objectives et bien informées nous parviennent sur ce qui se passe réellement dans le monde.

Et les voies légales ?

De très nombreuses luttes ont été menées contre les traités de libre-échange et nous avons parfois gagné quelques batailles en Amérique latine.  Mais, malgré cela, des accords bilatéraux ont été signés entre les Etats-Unis et un certain nombre de pays.  C’est aussi le cas avec l’Union Européenne, surtout autour de l’ouverture des services pour les entreprises européennes. Et même lorsque les négociations n’aboutissent pas, les modifications des lois au niveau national ont lieu pour créer les conditions de constitution du capital partout dans le monde. Un autre exemple concerne les législations sur la vigilance sanitaire. Il y a d’un côté le discours au nom de la sécurité de la santé des personnes, mais d’un autre côté, le résultat est que des pratiques de production et d’échanges d’aliments utilisés dans nos régions sont déclarées illégales. Continuer à les pratiquer devient un crime parce que des règles commerciales fixent dorénavant comment tu peux produire et ce que tu peux échanger. Tous les échanges de semences sont pratiquement interdits pour tout le monde, la production de fromages, etc. C’est une démarche qui vise à contrôler, à faire que des pratiques millénaires soient considérées comme un crime dans le but faire de la place à la manière de produire des grandes compagnies  transnationales.

Comment ce contrôle s’exerce-t-il concrètement ?

Et il y a l’imposition par la force, par la violence. En tant que femmes nous savons comment la violence envers les femmes est utilisée pour nous dominer. Nous savons que la situation de violence survient parce que la femme a dit non, parce qu’elle a refusé une situation d’oppression. Une situation de violence latente s’aggrave et la femme peut être battue ou même assassinée. Au niveau du fonctionnement de la société nous observons aussi la volonté d’accroître le contrôle sur les mouvements sociaux, limiter les manifestations et les actions de lutte. J’ai appris pendant mon séjour ici que des restrictions du droit de manifester ont été adoptées il y a peu dans le canton de Genève. En Espagne, des contingents énormes de police ont été utilisés pour réagir à la mobilisation des gens qui résistent aux mesures d’austérité. Cette situation illustre bien les contradictions du système parce qu’il n’y a pas d’argent pour les dépenses publiques mais il y en a pour la police, et encore davantage pour l’armée.

Vous évoquez aussi les dommages commis sur la nature…

Oui, on a créé des mécanismes inédits tels que acheter et vendre le droit de polluer grâce à l’achat des crédits de gaz carbonique. Payer soi-disant pour préserver une forêt en partant de l’idée que les communautés sur place sont incapables de préserver la nature. Pourtant, si des forêts existent dans le monde c’est bien parce des communautés qui y vivaient les ont préservées, parce qu’elles étaient capables d’utiliser la nature tout en la respectant. Les gens peuvent y vivre parce que la biodiversité subsiste. Mais à présent on déclare que ces communautés ne savent pas préserver la nature  et on fait venir des ONG ou des entreprises pour gérer ce patrimoine et négocier les droits de polluer dans les marchés internationaux. Ce qui permet aux compagnies de gagner de l’argent et de continuer à polluer. Je me demande qui peut croire une farce pareille ! Le but est de faire du profit.

Nous devons nous poser la question : pourquoi n’avons nous pas réussi à empêcher ces projets ? Pourquoi les organisations de femmes, les syndicats, les organisations paysannes, les indigènes, n’ont pas été capables de bloquer cette évolution destructrice ?

Pourquoi selon vous ?

Dans le colloque cité, Lourdes Beneria  a présenté des graphiques qui montraient que ces dernières années ont été des périodes de concentration des richesses, d’accroissement des écarts entre les riches et les pauvres. Une petite minorité a bénéficié des effets du développement technologique et de l’augmentation de la productivité. Le marché financier et le jeu spéculatif on favorisé l’essor d’une couche richissime.

Nous devons à la fois savoir comment résister et en même temps trouver des alternatives à ce modèle de fonctionnement tourné exclusivement vers le profit. Il est possible de développer des expériences, de reprendre de manières de faire de nos cultures traditionnelles mais en prenant bien soin de les réinventer pour ne pas utiliser des structures patriarcales et inégalitaires envers les femmes.

C’est le cœur du problème selon vous ?

A mon avis il est faux de tracer une ligne de partage entre des pays qui seraient les plus dominés et des pays qui iraient mieux. Dans chaque pays, il y a des situations très diverses et on voit partout ces tendances à accroître le contrôle, à criminaliser les luttes sociales, et les pressions sur les femmes qui sont protagonistes de ces luttes sociales, même en utilisant la violence sexuelle. Nous l’avons vu dans les mobilisations du monde arabe, mais aussi au Chili lors de la répression policière contre les étudiants. Des formes de représsion très sexistes ont été employées à l’égard des femmes pour leur faire comprendre qu’elles n’avaient pas le droit d’agir dans l’espace public.

Donc, nous avons de grandes difficultés d’un côté et d’un autre côté nous enregistrons toutes ces luttes, toutes ces résistances et comment les femmes et le peuple sont toujours en train d’inventer  de nouvelles formes de résister.

C’est ce que vous faites avec la Marche mondiale des femmes ?

En tant que Marche mondiale des femmes, nous essayons de garder une vision générale de la situation. Nous essayons de comprendre comment évolue le capitalisme dans cette phase de crise dans les pays centraux alors qu’en même temps certaines économies marchent relativement bien dans d’autres pays. Nous cherchons à comprendre quels sont les changements des équilibres géopolitiques.

Quels sont vos espoirs et vos déceptions ?

Ce qui nous manque dans tous les mouvements sociaux sont les possibilités d’établir des liens entre les choses qui se passent dans différentes parties de monde. Lorsque nous faisons le bilan du Forum Social Mondial du point de vue de la MMF, nous en tirons un bilan positif parce que nous avons réussi à placer le féminisme – la présence des femmes organisées - comme sujet historique, comme sujet politique, en même temps que nous avons construit des alliances avec d’autres mouvements.

Mais nous en attendions davantage, nous attendions que le FSM donne plus de force aux alternatives qui existent partout. En effet, des gens font de la résistance partout. Mais comment créer un lien entre ces alternatives pour créer une force de résistance au niveau local et au niveau international et dépasser cette situation que nous sommes en train de vivre actuellement ? C’est le défi qui est devant nous.

Quels succès sont à mettre à votre actif ?

Nous avons réalisé des choses intéressantes. Lors de  Rio + 20 nous avons organisé avec tous les mouvements sociaux une conférence parallèle des peuples dans laquelle nous avons travaillé ensemble sur trois axes : résistances, alternatives et agenda.

La MMF a fait l’effort d’être présente dans toutes les thématiques. Par exemple sur la question des mines. Les compagnies minières sont en train de s’accaparer des richesses partout et elles sont très agressives. Nous avons soulevé la question de comment les violences envers les femmes sont utilisées pour déstructurer la communauté et la subordonner à leur intérêts. Nous avons été capables de mener à la fois des actions et de participer à des discussions. Nous pensons que les rapports de confiance se construisent dans la lutte. C’est ainsi que nous pouvons savoir sur qui on peut compter et quels vont être les secteurs et les personnes  qui vont pousser la lutte.

En même temps nous cherchons d’autres modèles organisationnels parce que les modèles traditionnels hierarchisés que nous avions jusqu’ici ne sont pas suffisants. Par exemple, pour toutes les questions si difficiles du financement, nous aimerions apprendre des expériences des mouvements qui visent l’autofinancement.

Quelles sont dans l’immédiat les échéances pour la Marche ?

Nous avons  les «24 heures d’action féministe» le 10 décembre prochain où il y aura des actions entre 12h et 13h pour montrer qu’il faut rester vigilantes tout le temps, partager un créneau horaire et partager la responsabilité.

Nous continuons à travailler au niveau des régions et réfléchissons aux agendas qui créent une action commune forte au niveau des régions comme par exemple en Europe la campagne contre la précarité et les mesures d’austérité prises par les gouvernements. Dans d’autres régions, il a d’autres questions. L’année prochaine se tiendra notre rencontre internationale et on va travailler à une analyse du contexte et une analyse de notre mouvement pour savoir quels sont nos points forts, quels sont les points à renforcer et envisager notre prochaine action internationale.

Ces dernières années nous avons pu nous reconstruire dans le monde arabe, en particulier avec les coordinations nationales en Palestine et en Tunisie. Nous devons travailler sur ces questions non seulement en pensant à la solidarité envers elles, car en regardant l’évolution de la situation, nous nous voyons. Il y a un processus révolutionnaire, il y a un changement, mais rapidement les conservateurs s’organisent, prennent la place. Ça leur arrive à elles, ça nous arrive aussi. Nous voulons être avec elles, à côté d’elles pour apprendre et nous réorganiser chez nous aussi. Je vois ça comme un défi. Il y aura probablement un Forum Social Mondial en mars 2013 à Tunis.

 



[1] «Sous le dévéloppement, le genre» organisé par la Direction du développement et de la coopération de la Confédération et l’Institut de recherche pour le développement, programme genre, globalisation et changements à Genève les 27 et 28 octobre 2012.

 

http://www.marchemondiale.org/index_html/fr