updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

L'éducation des garçons à revoir

En cette quinzaine de l’égalité genevoise et cette conférence sur la virilité annoncée à grand renfort de trompettes par l’Etat, il est intéressant de constater qu’en dépit des efforts déployés, le pays tout entier a tendance à régresser si l’on en croit les statistiques : l’égalité perd du terrain. Que faire ? Peut-être déjà résoudre un paradoxe fondamental et revoir toute l’éducation des garçons et pas seulement à l’école.

Les sociétés occidentales prônent le principe d’égalité hommes-femmes en l’inscrivant dans la loi, en instaurant des quotas pour rééquilibrer la représentation et corriger les rapports de force, en éduquant les enfants dans cette perspective juste, en s’essayant aux politiques d’équité. Sauf que la réalité est tout autre : les inégalités structurent le système social dans son entier. Il ne suffit peut-être pas seulement d’initier très tôt les petits à ce beau principe d’égalité. Peut-être faudrait-il repérer là où ça coince : école, famille, travail, société. En regardant plus précisément comment les adultes projettent leurs ambitions, leurs frustrations, leurs rêves, leurs cauchemars sur leur progéniture. Quels impacts ont ensuite ces projections sur la construction des identités des enfants ? Simone de Beauvoir avait déjà eu l’intuition que ça ne serait pas du tout cuit pour les filles : la route est très longue, semée d’embûches et de paradoxes pour devenir une femme, une vraie. Mais c’est un peu le même topo pour les garçons : il faudra se conformer, se soumettre, correspondre à son genre pour être en règle avec les attentes de toute une société. Il s’agira de réprimer ses émotions, ses envies, de s’éloigner de qui on est, de rester à bonne distance des autres.

La fabrique des garçons évoquée par Sylvie Ayral, professeure agrégée, docteure en sciences de l'éducation, décrit ces processus qui vont peu à peu modeler, formater l’individu de sexe masculin pour le faire entrer dans la catégorie «homme». Elle montre comment les garçons sont pris entre deux systèmes normatifs avec pour conséquence une injonction paradoxale. Le premier, à l’école, transmet «les valeurs de calme, de sagesse, de travail, d’obéissance, de discrétion, vertus traditionnellement associées à la féminité». Le second, selon Sylvie Ayral, est «relayé par la communauté des pairs et la société civile et valorise les comportements virils et encourage les garçons à tout le contraire : enfreindre les règles, se montrer insolents, jouer les fumistes, monopoliser l’attention, l’espace, faire usage de leur force physique, s’afficher comme sexuellement dominants». Il s’agit ici de se démarquer de tout ce qui est assimilé au «féminin» y compris à l’intérieur de la catégorie «garçons».

Cette masculinité hégémonique, productrice de sexisme et d’homophobie, constitue un frein pour ne pas dire un obstacle majeur à l’égalité réelle. Quels que soient les espaces (sport, culture, loisirs), les garçons occupent le terrain. Ces activités en dehors de l’école favorisent elles aussi la construction d’identités sexuées stéréotypées. Quant à la famille, c’est le foyer des inégalités de genre par excellence. Les parents vont adopter des comportements et des attentes différents en fonction du genre de leur enfant, consciemment ou non. La force d'inertie des structures sociales est telle que là encore, cet espace ne peut hélas reproduire que des modèles sexistes. L’école ne fera à la suite que légitimer ces inégalités.

Dès lors, comment arriver à une plus grande fluidité des rôles de genre entre filles et garçons ? Agir au niveau de l’école seule ne suffit pas. C’est la société dans son entier qui est concernée et qui doit revoir l’éducation des garçons dans tous les espaces, privés et publics. Ce qui suppose questionner la valorisation systématique d’une virilité fantasmée et impossible à atteindre pour la plupart des hommes en devenir. Cela passe par un réajustement des représentations masculines dans les médias et la publicité pour que les modèles proposés aux plus jeunes véhiculent des normes moins contraignantes, plus variées, moins genrées. Quant aux réseaux sociaux, en particulier ceux fréquentés par les jeunes, il est temps que les Snapchat, Whatsapp, Ask.fm, Line mettent en place des outils pour éliminer les contenus sexistes et LGBTphobes de leurs plateformes. L’idée est bien d’investir tous les espaces pour influer la construction identitaire masculine. Et d’arrêter de faire porter les efforts sur les filles uniquement.


Photo DR

Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, tome II, éd. Gallimard, 1949, rééd. Folio essais, 1976, 654 p.

Sylvie Ayral, La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège, 2011, Presses Universitaires de France, 204 p.