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updated 8:25 PM CEST, Apr 25, 2016

Les computer girls

Une idée largement répandue voudrait qu’avec l’entrée massive des femmes sur le marché du travail à la fin des années 70, de nombreux métiers se féminisent et qu’à part l’exception notable de la profession d’infirmier, la masculinisation de domaines traditionnellement réservés aux femmes semble extrêmement rare. Des recherches récentes révèlent que les hommes ont investi des secteurs comme, par exemple, la programmation informatique, apanage exclusif des femmes jusque dans les années 70.

La ségrégation genrée horizontale qui répartit femmes et hommes respectivement autour d’emplois dits “féminins” et “masculins” reste la règle dans le monde du travail. Ainsi en Suisse, 80% des femmes sont employées dans huit familles de métiers, essentiellement le care (aide à la personne) et l’éducation. La raison de cette répartition genrée tient au fait que les métiers «féminins» sont associés à des qualités dites “féminines”, à savoir l’écoute, le soin donné à autrui, l’expression d’émotions, alors que les domaines professionnels dits “masculins” se réfèrent plutôt à des qualités dites “masculines” telles que l’affirmation de soi, la technique, la rationalité ou la force, nettement plus valorisées et valorisantes. L’argument naturaliste prévaut encore largement dans le choix du métier selon qu’on est un homme ou une femme. De fait, la ségrégation est manifeste.


Si les femmes ont investi certains domaines, féminisant ainsi des métiers comme celui d’avocat-e, de journaliste ou d’enseignant-e, les hommes sont également entrés sur de rares territoires jusqu’alors occupés par des femmes telle que la programmation informatique. L’historien Nathan Ensmenger explique que les femmes étaient recrutées pour coder en raison de leurs aptitudes naturelles. Un article de Cosmopolitan paru en 1967 intitulé The computer girls vante les avantages de la programmation pour les femmes qui s’apparente à «préparer un dîner. Vous avez à prévoir à l’avance, à tout organiser de manière à ce que tout soit prêt lorsque vous en aurez besoin… Les femmes ont un talent naturel pour ça». Nathan Ensmenger précise que dès le début des années 40, les femmes ont été pionnières dans la programmation. L’université de Pennsylvanie avait engagé six femmes pour travailler sur l’ENIAC, l'un des tous premiers ordinateurs électroniques. Et pas pour passer le chiffon mais bien pour coder.

Pour les responsables du projet, la programmation était assimilée à de la dactylographie ou du standard téléphonique, bref à du secrétariat, rien de très reluisant pour un homme. Ainsi cantonnées durant des années au software c’est-à-dire aux logiciels, les femmes laissaient leurs collègues masculins au hardware (le matériel). Ce faisant, elles ont développé un certain nombre d’avancées technologiques aujourd’hui passées sous silence. Par exemple, c’est Betty Holbertson qui est à l’origine de l’instruction «stop» pour toute erreur humaine dans n'importe quel ligne de code.

Comprenant la complexité qu’il y a à coder, les entreprises ont alors commencé à former des hommes qui allaient remplacer progressivement les computer girls priées de retourner à leurs fourneaux. Associant tout à coup programmation aux mathématiques et aux échecs, les nouveaux geeks ont commencé à jouer de leur prestige et à décourager les femmes de choisir cette carrière. En effet, des tests de recrutement se sont focalisés exclusivement sur les mathématiques contrairement à ce qui était pratiqué jusqu’alors barrant l’accès aux femmes qui ne se spécialisaient pas dans ce domaine scientifique durant leur parcours scolaire. La stratégie a bien fonctionné puisqu’aujourd’hui personne n’imagine que ce sont les femmes qui furent les premières programmeuses de l’histoire. Et qui sait encore que c’est une femme de génie, Margaret Hamilton, qui a conçu le logiciel de guidage nécessaire à la mission Apollo. Sans elle, personne n’aurait marché sur la lune…

Photo DR, deux femmes programmant l'ENIAC