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Vaud: l’internement des prostituées

Sex boxes en Suisse, lois pénalisant le client en France et en Espagne, la prostitution doit, du point de vue  des autorités, être sous contrôle, notamment quand elle s'exerce dans l'espace public. Durant une trentaine d’années le canton de Vaud a utilisé une procédure d’internement qui, entre autres, visait explicitement les prostituées. Elles étaient accusées de corrompre la jeunesse et de rendre la rue moins sûre. C’est la raison pour laquelle elles étaient éloignées via un internement administratif. Revenir sur la manière dont étaient traitées ces femmes dans le cadre de cette procédure donne quelques clés pour comprendre les enjeux des débats actuels.

L’histoire de la prostitution dans la ville de Lausanne a déjà été étudiée pour le XIXe siècle. Le mémoire de Danielle Javet* permet de comprendre quels étaient les discours sur la prostitution et ses dangers. Elle y analyse les considérations médicales, sociales et religieuses. Ces dernières sont unanimes sur la nécessité de contrôler cette activité. D’autant plus pour une ville d’instruction. Mais elle y montre aussi comment fonctionnaient les différents textes qui régulaient l’activité des prostituées dans la ville de Lausanne. Le Code pénal vaudois de 1896, selon Danielle Javet, considère la prostitution non comme un délit, mais comme un vice. C’est la raison pour laquelle ce qu’il convient de faire n’est pas d’interdire la prostitution mais de réguler les «manifestations extérieures» pour permettre une «propreté de la rue». Ce sont des termes importants qu’il est nécessaire de garder en tête pour la suite de l’exposé. Ainsi l’article 197 du Code pénal vaudois est modifié dans le sens précèdent à la fin du XIXe siècle. Les femmes qui «provoquent» dans un but «déshonnête ou immoral» sont punies de réclusion pour 6 mois ou internées dans une colonie agricole et industrielle.

La prostitution est à nouveau questionnée durant la première partie du XXe siècle. Le 2 mars 1931, un projet de révision du Code pénal vaudois est communiqué. Ce sont les articles 165 et 166 qui nous intéressent. Ceux-ci punissent le racolage (réclusion de 6 mois au plus ou internement dans une colonie pénitentiaire pour un maximum de trois ans) et la débauche qu’elle soit le fait d’hommes ou de femmes (amende de 3'000 francs, réclusion de trois ans au plus ou internement dans une colonie pénitentiaire pour cinq ans au plus). Le Code pénal vaudois garde donc son esprit précédent en ne s’attaquant pas à la prostitution mais aux manifestations publiques de celle-ci. Ces deux articles seront discutés largement au Grand conseil vaudois le 16 mars 1931. Les propos du député Paul Golay sont très intéressants. En effet, il considère que la prostitution est un travail social qui permet d’éviter que certains hommes ne deviennent coupables de délits. L'idée du besoin sexuel insatiable des hommes dont parle ici Paul Golay, et qu'il réutilisera en 1946, est parfois encore invoqué aujourd'hui pour justifier la prostitution en faveur des hommes. En témoigne la tribune de Frédéric Beigbeder dans le journal français Le Monde suite au manifeste des 343 salauds.

Cette introduction sur le contrôle légal de la prostitution permet de situer l’internement administratif des prostituées. En effet, en 1935 le député Georges Bridel dépose une motion suite aux discussions sur l’article permettant un internement des assistés fainéants du projet de loi sur l’assistance publique et la prévoyance sociale. Cette motion souhaite élargir les possibilités d’internements vers les populations qui ne sont pas soumises à l’assistance sociale. Le but principal de cette proposition est de s’occuper d’une population du centre des grandes villes. Celle-ci, constituée en partie de prostituées et de souteneurs, était vue comme potentiellement criminelle. Mais les preuves des activités des prostituées étaient difficiles à produire devant le juge. L’internement administratif reçoit donc une double mission : à la fois punir par l’éloignement et rééduquer. Il est possible d’accomplir cette double mission en abaissant considérablement le besoin de preuves. De plus, l’internement administratif n’est pas considéré comme un emprisonnement. Le 24 octobre 1939, l’arrêté sur l’internement administratif d’éléments dangereux pour la société est publié par le Conseil d’État vaudois. Il ne sera transformé en loi qu’en 1941 après de courts débats. Cet arrêté institue une Commission d’internement administratif chargée d’examiner le style de vie de quatre types d’individus. Ce sont les prostituées, les souteneurs, les personnes gagnant leur vie grâce aux jeux illégaux et les personnes qui mettent autrui en danger par fainéantise ou inconduite. Cette disposition est adoptée alors que la Deuxième Guerre mondiale vient de commencer. Il est nécessaire, pour les autorités vaudoises, de protéger la population d’individus qui ne sont pas astreints à l’armée.

Les débats de 1941 permettent de comprendre que l’internement administratif des prostituées était aussi prévu pour répondre à un problème posé par l’armée. En effet, cette dernière stationne dans les environs de Lausanne. La prostitution importante au centre-ville risquait de créer une épidémie de maladies vénériennes chez les soldats. Cette possibilité mettait en danger l’armée et la défense du pays. La loi y est donc considérée comme un besoin de la société. Celui-ci est rendu plus pressant encore par le contexte de guerre. Mais il est nécessaire pour les autorités de l’époque de garantir le fonctionnement de la Commission d’internement administratif en transformant l’arrêté en loi. Celle-ci sera d’ailleurs révisée en 1946 après une motion de Paul Golay en faveurs de l’abrogation de la Commission d’internement administratif.

La Commission siège de 1939 à 1971. Durant cette période, elle s’occupe en majorité de cas féminins. Ces dernières sont inquiétées surtout en leur qualité de prostituées. Les cas de femmes dénoncées pour être des souteneuses ou un danger pour autrui sont rares. Ce dernier point étant invoqué dans le cas d’une maladie vénérienne. Inversement, les hommes sont très rarement dénoncés pour prostitution. Les exemples qui ont été examinés concernent des hommes identifiés comme homosexuels.

Les archives permettent de rencontrer les prostituées qui sont dénoncées devant la Commission d’internement administratif. Le travail qui a été fait concerne les années 39 à 41, qui regroupent 72 dossiers féminins sur 109. Les prostituées sont spécifiquement visées dans le cadre de cette procédure d’internement administratif et l’internement a lieu à Bellechasse dans le canton de Fribourg. Le dossier est ouvert sur dénonciation de la police. Dans son rapport cette dernière ne se contente pas de donner des informations sur les activités actuelles des prostituées. Ce sont des informations qui sont récoltées depuis l’enfance. Plus précisément encore, on peut dire que la police tente de connaître l’origine de la personne pour comprendre son présent. C’est un jugement sur le passé et l’hérédité familiale. On trouve aussi dans les rapports l’idée que la «déchéance» n’est pas due qu’aux femmes. En effet, les auteurs cherchent souvent une origine masculine. Celle-ci aurait fait glisser une personne auparavant honnête en direction de la prostitution. La manière dont les prostituées sont identifiées est aussi particulière. En effet, la tenue semble être le principal moyen de connaître l’activité des femmes. L’examen de l’habillement est donc pratiqué par les policiers. Car la manière de s’habiller peut être considérée comme une provocation à «l’indécence» des hommes. Bien que l’entrée dans la prostitution semble être facilité par les hommes ce sont les femmes qui sont considérées responsables d’éveiller le désir masculin dans la rue.

Cette procédure d’internement administratif permet un examen d’un style de vie sans avoir besoins de preuves précises, mais il n’est pas arbitraire. En effet, une possibilité de recours existe. Mais celle-ci ne permet pas véritablement de défendre les prostituées. Le recours se fait devant le Conseil d’État et peut atteindre le Tribunal fédéral. Cependant on parle à la place des prostituées sans les écouter. La lecture des archives permet aussi de retrouver une correspondance. Celle-ci concerne les demandes de libérations anticipées. Elles sont écrites de la main des internées. Mais elles sont rédigées dans un but précis. Ces femmes tentent d’être libérées. Elles écrivent donc des lettres qui ne mettent pas en question l’internement administratif ou le bienfait de la rééducation en milieu pénitentiaire.

Ce n’est qu’en 1971 que la Commission d’internement administratif sera abolie. Anne-Catherine  Menétrey en sera à l’origine. Cette procédure aura permis de s’attaquer à une prostitution qui s’affiche dans la rue. Mais la question de l’entrée dans cette activité n’est jamais posée par les autorités de l’époque. La Commission ne s’y intéresse pas non plus. Elle préfère s’intéresser à la pratique et non à ses causes. Les politiciens et la police souhaitent nettoyer la rue et rendre la prostitution plus dangereuse mais non l’abolir. Il est tout de même possible de trouver des pistes sur ce point. En effet, la lecture des rapports de police montre que les prostituées visées sont dans un besoin économique important. Ce n’est qu’en 1946 dans la bouche d’un député popiste que les causes économiques sont mentionnées. Bien que cette procédure soit abolie l’examen de son histoire permet de montrer en quoi la répression de la prostitution est inutile, si ce n’est dangereuse, pour les concernées. Ces femmes ont été publiquement identifiées comme prostituées et leur internement inscrit dans le casier judiciaire. Une reconversion était d’autant plus difficile. Mais, surtout, l’internement administratif ne s’attaquait qu’à la rue. Le but, hypocrite, était de cacher l’activité au nom de la morale, mais pas d’aider des femmes qui se trouvaient dans la précarité.

*Javet, Danielle, La prostitution à Lausanne au XIXe siècle, Lausanne, Section d'histoire Université de Lausanne, 1985.